Lettre aux élu(e)s

, par Bruno Bretelle

Madame, Monsieur,

L’augmentation du coût de l’énergie, notamment celui du pétrole et de ses dérivés, oblige à adopter une politique visant à rendre notre société et notre économie plus autonomes et efficaces sur le plan énergétique. [1]

Dans les zones urbaines et péri-urbaines, cette politique passe par l’amélioration de l’offre en transports collectifs performants, afin d’inciter les personnes à délaisser la voiture individuelle, très dépendante du pétrole.

Moderniser les infrastructures ferroviaires peu utilisées ou remettre en service celles qui sont inutilisées sont des moyens efficaces d’améliorer cette offre.

La mise en service en Île-de-France de la ligne de tramway T2 entre la Défense et Issy-Les-Moulineaux en est un exemple flagrant : la modernisation d’une ligne de chemin de fer de banlieue a permis de faire passer la fréquentation de 8 000 voyageurs en 1992, à plus de 80 000 en moyenne par jour en 2009. Cette modernisation a stimulé les transformations urbaines et économiques des communes traversées. Un exemple plus récent est donné par la ligne de tram-train T3 à Lyon qui, mise en service en 2006, réutilise en grande partie la plate-forme de l’ancien Chemin de Fer de l’Est Lyonnais pour relier le centre ville de Lyon à l’aéroport Saint-Exupéry.

De tels projets sont caractérisés par une très forte utilité sociale, une insertion réussie dans un environnement urbain dense et par la mise en valeur des patrimoines paysagers, naturels et architecturaux des lignes de chemin de fer réutilisées, comme les gares ou les bas-côtés inutiles pour l’exploitation.

Petite Ceinture ferroviaire : situation et correspondances possibles avec les réseaux RER et Transilien

 La Petite Ceinture ferroviaire, un atout pour améliorer les déplacements

En Île-de-France, une ligne de rocade aujourd’hui inutilisée possède un fort potentiel de transport et d’aménagement urbain : la Petite Ceinture ferroviaire. L’Atelier international du Grand Paris (AIGP), composé de dix équipes d’architectes, a récemment proposé de s’appuyer sur les infrastructures existantes pour développer de nouveaux services de transport, citant la Petite Ceinture ferroviaire.

Cette ligne circulaire, construite sous le Second Empire pour interconnecter les réseaux ferrés pénétrant dans Paris, a assuré à partir de 1869 le premier service ferroviaire métropolitain et le premier transport de voyageurs francilien de rocade. Elle transporta jusqu’à 90 000 personnes par jour en 1900. Souvent envisagée comme racine du réseau du métro parisien, sa fréquentation chuta à cause de la concurrence du métro municipal, ce qui provoqua l’arrêt de la modernisation de son service de voyageurs. Ce dernier fut finalement transféré sur route en 1934 pour devenir la ligne de bus PC, installée sur les boulevards des Maréchaux. La section Ouest fut électrifiée dans les années Vingt puis intégrée partiellement au RER C dans les années Quatre-Vingt. Un transport de marchandises subsista sur les autres sections jusqu’en 1993.

La Cour des Comptes a également souligné en 2010 l’intérêt de la remise en service d’un transport de voyageurs sur la Petite Ceinture [2].

En Île-de-France, la demande en transports en commun est à dominante radiale [3]. Remise en service au moyen d’un tram-train ou d’un métro, la Petite Ceinture offrirait un transport de rocade qui, en étant complémentaire des axes radiaux, renforcerait en zone urbaine dense le maillage du réseau ferroviaire francilien (Métro, RER, Transilien, tramway) :

  • Elle permettrait aux Franciliens de se déplacer de banlieue à banlieue sans passer par le centre de Paris ;
  • Elle délesterait des lignes radiales de métro et de RER aujourd’hui surchargées aux heures de pointe : elle serait par exemple en correspondance aux portes de Vanves, de Clichy et de Saint-Ouen avec la ligne 13 ;
  • Elle compléterait et renforcerait le service fourni par le tramway T3 sur les boulevards des Maréchaux, qui fournit un service principalement local, au moyen d’une ligne à plus grande vitesse de circulation et à vocation régionale.
Jardins partagés et tramway à la station Belvédère sur la ligne de tramway T2
Un exemple de mixité des usages de plate-forme, reproductible sur la Petite Ceinture ferroviaire. Cliché : Stéphane Dos Santos tous droits réservés.

 Un moyen d’enrichir la biodiversité

Un projet de transport sur la Petite Ceinture permettrait de renforcer la biodiversité sur sa plate-forme et son rôle de corridor écologique. Les espaces situés le long des voies inutiles à l’exploitation pourraient être préservés pour permettre le développement de la biodiversité. Cette dernière serait même enrichie par les aménagements destinés à minimiser les nuisances du transport ferroviaire :

  • Dans les zones en remblai, par des murets en pierre, des palissades en bois ou des digues de terre végétalisées,
  • Dans les zones en viaduc, par des galeries recouvertes de végétation.

L’agence régionale francilienne pour la biodiversité, NatureParif, a déjà souligné l’intérêt des infrastructures ferroviaires comme la Petite Ceinture pour développer la biodiversité : « Le potentiel des talus ferroviaires est également important. Ainsi, dans le cas de la Petite Ceinture ferroviaire parisienne, l’alternance des remblais et déblais, tout comme la très faible fréquentation engendre une grande variété de milieux, donc une importante richesse écologique. » [4]

Les aménagements proposés pourraient faire l’objet d’une concertation avec les habitants des quartiers concernés.

 Un moyen d’améliorer la qualité de l’air

Selon le bilan de la qualité de l’air établi par le Ministère de l’Ecologie et rendu public le 3 août 2012, douze millions de personnes, dont les habitants de l’Île de France, sont soumis à une pollution atmosphérique dépassant le seuil annuel de particules fines PM10 plus de 35 jours par an. Cette pollution génère des effets sanitaires et environnementaux néfastes pour la santé des populations concernées. [5]

La mise en service de transports collectifs répondant à des besoins de mobilité importants est un moyen d’inciter à délaisser l’usage de l’automobile sans toucher les plus pauvres, a contrario de l’interdiction des véhicules les plus polluants (donc les plus anciens). [6]

Dans ce contexte, remettre en service la Petite Ceinture permettrait d’étoffer rapidement l’offre de transports alternatifs à l’automobile.

 La question des riverains ou l’existence d’une résistance au changement

La remise en service de la Petite Ceinture se heurte à la question du respect du cadre de vie des riverains. En effet, du fait qu’il n’y ait plus de trafic ferroviaire régulier depuis 1993, le souvenir de l’activité ferroviaire s’évanouit progressivement. Par ailleurs, inutilisé, l’espace de la Petite Ceinture contraste avec celui de la voirie urbaine. Principalement, son calme contraste avec le bruit de la circulation routière, tandis que la présence de végétation sur ses talus contraste avec le caractère souvent minéral des rues.

Ces contrastes alimentent le principal obstacle à la réutilisation de la Petite Ceinture quelque soit le projet envisagé : la résistance au changement exprimée par une partie des riverains de la ligne. Les témoignages de ces riverains ont montré que cette résistance au changement peut emprunter deux visages : celui d’une peur des nuisances sonores et visuelles générées par un usage régulier de la ligne, mais aussi celui d’un désir d’intégration de sa plate-forme aux copropriétés privées qui la jouxtent.

Une telle résistance au changement n’est pas propre au projet de remise en service d’un transport ferroviaire ; même un projet de promenade est obligé de prendre en compte cette résistance.

 La mixité des usages : le moyen d’améliorer la qualité de vie des riverains et de définir un consensus

Aujourd’hui, la Petite Ceinture est peu accessible au grand public. Son caractère calme et verdoyant constitue l’argument principal des partisans d’une promenade de type « coulée verte ». Mais en réalité, de nombreux obstacles : tunnels et tranchées profondes très difficilement accessibles - rendent inutilisables une bonne partie de l’infrastructure pour un tel projet, brisant la continuité des espaces à ciel ouvert (voir l’annexe intitulée « Les obstacles à la réalisation d’une promenade de type « coulée verte » sur la Petite Ceinture ».

Par ailleurs, si tout projet concernant la Petite Ceinture doit prendre en compte la question du respect du cadre de vie des riverains, afin que les aménagements envisagés ne le dégradent pas de manière intolérable, cette question ne doit pas bloquer les initiatives publiques dans le difficile contexte énergétique et économique actuel.

Ces initiatives peuvent s’appuyer sur le fait que la reprise d’un service de transport de voyageurs permettrait d’optimiser l’utilité sociale de la ligne bien mieux qu’une seule promenade de type « coulée verte », car le transport est combinable à la valorisation des espaces inutiles pour l’exploitation, comme les terrains situés le long des voies et les bâtiments des gares. Ces espaces seraient affectables à des usages culturels, associatifs ou de vie de quartier, et deviendraient accessibles aux habitants des quartiers traversés comme à ceux de l’agglomération francilienne. Le transport ferroviaire constituerait ainsi l’épine dorsale de tous ces lieux, mettant en œuvre « l’effet réseau » de la Petite Ceinture dans l’agglomération francilienne.

De tels aménagements ont été réalisés ces dernières années sur la ligne de tramway T2, entre les gares de Puteaux et d’Issy-Val de Seine : cette ligne réutilise une infrastructure ferroviaire mise en service en 1889 qui présente une configuration analogue en bien des points à celle de la Petite Ceinture. Les bâtiments des anciennes gares ont été rachetés par les communes traversées et transformés en équipements municipaux, comme le Musée d’histoire Urbaine et Sociale de Suresnes (MUS) aménagé dans le bâtiment de la gare de « Suresnes-Longchamp ». Des jardins partagés ont également été aménagés le long des voies, comme à la station « Belvédère ».

Finalement, la combinaison de la remise en service d’un transport ferroviaire et de la valorisation des espaces inutiles à l’exploitation améliorerait la qualité de vie des riverains en leur offrant :

  • Un accès aux transports en commun amélioré,
  • Un environnement à la biodiversité préservée ou enrichie,
  • De nouveaux espaces publics créés,
  • Une valorisation du patrimoine de la ligne,
  • Une valorisation du patrimoine foncier ou bâti longeant la ligne.
Jardins partagés et tramway à la station Belvédère sur la ligne de tramway T2
Un chemin piéton longeant les voies du tramway permet l’accès aux différentes parties du jardin partagé depuis la station. Cliché : Stéphane Dos Santos tous droits réservés.

La Petite Ceinture est depuis cent cinquante ans une infrastructure publique qu’il convient de continuer à utiliser pour le bénéfice du plus grand nombre. Le projet de transport ferroviaire collectif est le seul qui permette de concilier au mieux des usages complémentaires de la Petite Ceinture, en associant le transport à la réhabilitation des gares et à la valorisation des terrains longeant la voie ferrée. Il est également le seul à pouvoir concilier la satisfaction des besoins régionaux avec celle des besoins locaux.

Plus qu’un projet de développement des transports, la remise en service d’un transport de voyageurs sur la Petite Ceinture est un projet de développement de la biodiversité, des relations sociales et de l’économie. Réalisé, ce projet relierait et dynamiserait les territoires traversés, aujourd’hui dispersés dans les arrondissements parisiens périphériques. Il renforcerait la mixité sociale et favoriserait le développement touristique des quartiers traversés, à l’image de la ligne de tramway T2 dans le département des Hauts de Seine ou de la High Line à New York. Il stimulerait également l’usage des modes de transport alternatifs à la voiture : vélo, tramway en voirie, métro, marche à pied, etc.

Pour que ce projet réussisse, il faut avant tout surmonter la résistance au changement exprimée par certains riverains de la ligne. Pour y arriver, il est fondamental de favoriser le dialogue autour de projets locaux à même de susciter le consensus, au moyen d’outils d’échange et de concertation avec tous les acteurs concernés.

Ce projet, que nous nommons « un transport (tramway, métro) dans un jardin », l’Association pour la Sauvegarde de la Petite Ceinture de Paris et de son réseau Ferré (ASPCRF), le défend depuis 1993.

 Sauvegarder la Petite Ceinture ferroviaire pour préserver l’avenir

Malgré tout son potentiel, la Petite Ceinture ferroviaire voit actuellement son avenir menacé par le récent changement de position de RFF (Réseau Ferré de France). RFF défendait jusqu’à présent la préservation de la vocation ferroviaire de la ligne dans son intégralité, mais se déclare aujourd’hui prêt à vendre toute ou partie de la ligne, suite à l’absence de décision politique sur des projets à court ou moyen terme. Si cette position venait à se concrétiser, ce serait toute une infrastructure utile pour le transport qui disparaîtrait de l’horizon des générations futures.

Dans ce contexte, quelle est votre position concernant le devenir de la Petite Ceinture ferroviaire de Paris ? Nous vous proposons d’aborder ce dossier plus en détail lors d’un entretien.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos meilleures salutations.

 Bibliographie