Le service métropolitain de la Petite Ceinture (IV) - Les obstacles à l’intensification

, par Bruno Bretelle

Dans les articles précédents, nous avons étudié l’histoire du service des trains de voyageurs urbains de la Petite Ceinture, et vu notamment comment, à partir de l’Exposition Universelle de 1889, celui-ci s’est mué en un véritable service métropolitain. Nous avons ensuite présenté les caractéristiques de ce service métropolitain en 1900. Enfin, nous avons évoqué le projet d’electrification étudié durant hiver 1900-1901 afin d’intensifier ce service. Cette intensification passait par l’augmentation des fréquences de circulation (jusqu’à douze trains par heure et par sens) et de la vitesse commerciale (27 km/h), entre les stations de Courcelles-Ceinture et d’Auteuil-Boulogne, via l’Est de Paris.

Dans cet article, nous abordons les deux obstacles majeurs à l’intensification du service métropolitain de la Petite Ceinture :

  • La question du doublement des voies de la ligne d’Auteuil et de la Petite Ceinture Rive Droite,
  • L’absence d’intégration tarifaire entre les différents modes de transport parisiens.
Voies, gares, raccordements et embranchements de la Petite Ceinture en 1924
La Petite Ceinture a connu cette configuration précisément à partir de 1903 et plus généralement, à quelques détails près, à partir de 1900.

 1- La saturation de la ligne d’Auteuil

Entre les stations de Courcelles-Ceinture et d’Auteuil-Boulogne, les trains du service circulaire de la Petite Ceinture empruntent les voies du service de voyageurs propre à la ligne d’Auteuil. Ce dernier service est constitué de navettes effectuant des allers-retours entre la gare de Paris-Saint Lazare et la station d’Auteuil-Boulogne.

En décembre 1897, la ligne d’Auteuil voit déjà passer aux heures de pointes, entre les stations Courcelles-Levallois et Auteuil-Boulogne, jusqu’à dix trains par heure et par sens, à la fréquence moyenne d’un train toutes les six minutes. En 1903, ce chiffre grimpe à douze trains par heure et par sens, à la fréquence moyenne d’un train toutes les cinq minutes [1] :

  • Six trains du service circulaire de la Petite Ceinture ;
  • Six trains du service de navettes entre Paris-Saint Lazare et Auteuil-Boulogne.

La ligne d’Auteuil ne voit pas passer en temps normal d’autre type de circulation que des trains de voyageurs urbains. Des trains de marchandises peuvent y circuler uniquement en cas d’interruption du trafic sur la Petite Ceinture Rive Droite ou sur la Petite Ceinture Rive Gauche, suite par exemple à un accident de train ou à un éboulement sur les voies ferrées.

L’exploitation d’un trafic aussi important sur la ligne d’Auteuil impose de limiter la fréquence de circulation et de la vitesse commerciale des trains, comme nous allons le voir à présent.

 1.1- La limitation de la fréquence de circulation

Les voies de la section de la ligne d’Auteuil comprises entre les stations de Courcelles-Ceinture et de l’Avenue Henri-Martin sont doublées lors de la construction du raccordement de la ligne d’Auteuil à la gare du Champs de Mars, afin de permettre la desserte de l’Exposition Universelle de 1900 depuis la gare de Paris-Saint Lazare, la ligne d’Auteuil et la Petite Ceinture. Les travaux de doublement de ces voies et de construction du raccordement du Champs de Mars sont très bien décrits dans une série d’articles de la revue intitulée « Le Génie Civil » [2] [3] [4] [5].

Un train venant de la gare de l’Avenue Henri Martin file vers Passy.
De part et d’autre des voies centrales, apparaissent les tunnels du raccordement de Boulainvilliers, aujourd’hui empruntés par la ligne C du RER.

Les deux nouvelles voies mises en place durant ces travaux, une fois l’Exposition Universelle terminée, peuvent servir à augmenter la fréquence des trains du service circulaire de la Petite Ceinture. Mais « l’insuffisance des deux voies » entre les stations de l’Avenue Henri Martin et d’Auteuil-Boulogne, ainsi que « des complications de bifurcations » [6] entre les voies de la Petite Ceinture et celles de la ligne d’Auteuil à leurs deux points de jonction, les stations d’Auteuil-Boulogne et de Courcelles-Levallois, empêchent de le faire.

Dans ces conditions, la seule solution envisageable pour offrir de nouvelles capacités de circulation sur la ligne d’Auteuil, aux yeux des responsables de l’exploitation des trains de la Petite Ceinture, est « le doublement des voies entre l’Avenue Henri Martin et Auteuil, en profitant de la désaffectation des fortifications pour créer une ligne de Ceinture entre l’Avenue Foch et Auteuil ».

Mais l’ampleur des travaux à entreprendre pour doubler ces voies accroît fortement le montant des dépenses nécessaires à l’augmentation de la fréquence des trains du service circulaire de la Petite Ceinture.

 1.2- La limitation de la vitesse commerciale

La limitation de la fréquence de circulation des trains ne constitue pas le seul obstacle généré par l’insuffisance de voies entre les stations de l’Avenue Henri-Martin et d’Auteuil-Boulogne : la saturation des deux voies existantes provoque de nombreux arrêts aux signaux qui engendrent des retards, particulièrement dommageables aux heures les plus chargées.

Par conséquent, afin de permettre aux équipes de conduite des trains du service circulaire de la Petite Ceinture de rattraper facilement les retards pris pendant le parcours de la ligne d’Auteuil, la vitesse commerciale y est limitée à 21 km/h, alors qu’elle est plus élevée sur le reste du circuit, comme cela a été présenté dans l’article consacré au service métropolitain de la Petite Ceinture en 1900.

 2- L’encombrant trafic de marchandises sur la Rive Droite

Sur la Petite Ceinture Rive Droite, le service circulaire de la Petite Ceinture ne cohabite pas avec un autre service de voyageurs, comme sur le parcours de la ligne d’Auteuil, mais avec l’important trafic de marchandises pour lequel cette section a été construite. Même si la ligne de Grande Ceinture est mise en service à partir de 1877 pour soulager la Petite Ceinture d’une partie du trafic de marchandises, il reste à desservir les gares aux marchandises des Grands Réseaux que relie la Petite Ceinture, les gares marchandises locales situées le long de la ligne (Belleville-Villette, Charonne Marchandises, Paris-Gobelins, La Glacière-Gentilly, Grenelle Marchandises), ainsi que les embranchements des abattoirs de la Villette et de Vaugirard.

Trains stationnant à la gare de Paris-Bestiaux.
Au premier plan, le passage à niveau de l’actuelle avenue Jean-Jaurès, supprimé dans les années 1930.

Un troisième type de trafic est constitué par les circulations de trains de voyageurs de grandes lignes (appelés « trains de jonction ») et de locomotives seules (circulations dites « haut le pied »).

Durant l’Exposition Universelle de 1900, la fréquence de huit trains de voyageurs par heure et par sens n’a pu être atteinte pendant les heures de pointe qu’en supprimant la circulation des trains de marchandises durant ces heures. Par conséquent, l’augmentation de la plage horaire d’application de cette fréquence à l’ensemble de la journée, jusqu’à 21h, comme il est prévu dans le projet de service électrique, nécessite de diminuer fortement le nombre de trains de marchandises. Or ce trafic étant très lucratif, une telle mesure est impossible à prendre pour des raisons économiques, à moins de doubler les voies de la Petite Ceinture Rive Droite. [6]

Comme pour le doublement des voies de la ligne d’Auteuil, l’ampleur des travaux à entreprendre pour doubler les voies de la Petite Ceinture Rive Droite accroît fortement le montant des dépenses nécessaires à l’augmentation de la fréquence des trains du service circulaire de la Petite Ceinture.

Sur la Petite Ceinture Rive Gauche, la situation est différente : la faiblesse du trafic marchandises permet d’intensifier le service circulaire sans avoir à doubler les voies.

 3- L’isolement par rapport aux transports en commun locaux

Le projet de service électrique étudié en 1901 envisage d’augmenter la fréquence de circulation des trains. Mécaniquement, cette augmentation, entraîne une augmentation de la capacité de transport offerte par la Petite Ceinture d’environ 58 %, celle-ci passant en semaine de 103 496 à 163 376 places assises par jour. [7]

Or aux alentours de 1900, le mouvement moyen sur la Petite Ceinture était de 85 000 à 90 000 voyageurs par jour. [8] L’augmentation de capacité induite par l’électrification, pour être rentable économiquement, doit être accompagnée d’une augmentation proportionnelle de la fréquentation des trains.

Carte des circulation des Chemins de fer de Ceinture (Petite et Grande Ceintures) en 1910
Collection Pierre Tullin.

Or, pour que la fréquentation augmente fortement, la Petite Ceinture, comme toute ligne de rocade, devait être alimentée par des lignes radiales de transport. En 1900, la Petite Ceinture est déjà en correspondances depuis plusieurs années avec les lignes de banlieue des gares terminus parisiennes. Même si ce trafic augmente chaque année avec l’augmentation de la population et l’urbanisation croissante de paris et de sa banlieue, il est insuffisant pour combler à lui seul le surcroît de capacité offerts par les trains du service électrique projeté sur la Petite Ceinture.

Il faut donc se tourner vers les lignes radiales des autres modes de transport, c’est-à-dire des lignes d’omnibus (puis d’autobus), de tramways et du chemin de fer Métropolitain concédé à titre municipal, le Métro.

Malheureusement, il n’existe pas à l’époque de tarification unifiée des transports en commun comme aujourd’hui. Autrement dit, l’équivalent du Passe Navigo n’existe pas et chaque mode de transport possède sa propre tarification. Par conséquent, chaque fois qu’un voyageur change de mode de transport : du train au tramway, du tramway au métro, du métro au train, du train à l’omnibus (autobus), etc., il faut qu’il achète un nouveau ticket.

Comme la Petite Ceinture est exclue du projet de Métropolitain concédé à titre municipal, elle ne propose pas de tarification commune avec ce dernier. Par conséquent, les lignes de Métro progressivement mises en services viennent directement concurrencer le service métropolitain de la Petite Ceinture, ce qui provoque la stagnation puis la chute du trafic de cette dernière.

 4- Conclusion

Au début de l’année 1901, il s’avère difficile et coûteux d’augmenter la fréquence de circulation des trains sur la Petite Ceinture au-delà de huit trains par heure et par sens pendant la majeure partie de la journée. En effet, il est nécessaire de doubler les voies d’une partie de la ligne d’Auteuil et d’une partie de la Petite Ceinture Rive Droite, à cause de la forte fréquentation déjà existante des voies des ces sections. Par ailleurs, le service métropolitain de la Petite Ceinture est isolé sur le plan tarifaire des autres modes de transport, notamment du chemin de fer Métropolitain concédé à titre municipal, le Métro.

Par conséquent, les gestionnaires de la Petite Ceinture préfèrent adopter une politique de maintien du statu quo, qui consiste à améliorer la vitesse commerciale du service métropolitain, afin de faire face à la concurrence nouvelle du Métro sans recourir ni à la traction électrique ni au doublement des voies.

Nous allons voir dans le prochain article comment malheureusement, le maintien de ce statu quo ne suffit pas à maintenir le trafic.

Prochain chapitre : l’évolution du service métropolitain de voyageurs à partir de 1901.