Prolongement du T8 vers Paris, inscrire la Petite Ceinture dans une perspective d’avenir

, par Association Sauvegarde Petite Ceinture (ASPCRF)

Le 5 février dernier, Île-de-France Mobilités a voté le bilan de la concertation organisée autour du prolongement du T8 jusqu’à la gare de Rosa Parks, à deux pas de la Petite Ceinture de Paris.

Le lendemain, IDFM a fait paraître le bilan officiel de la première phase de ce projet essentiel pour Paris et sa région. Ce document s’avère beaucoup plus complet et satisfaisant que le premier bilan rédigé par la garante de la concertation. Néanmoins, un certain nombre d’éléments n’ont pas manqué d’attirer l’attention de notre association et de ses partenaires.

Quels sont les principaux enjeux de ce prolongement ? Quelles sont les grandes orientations retenues à ce jour par IDFM ? Quel rôle pour la Petite Ceinture de Paris dans ce projet structurant pour le Nord de la capitale ? C’est ce que nous vous proposons d’étudier dans ce dossier.

 Un document fidèle à la concertation relative au prolongement du T8 jusqu’à Rosa Parks

Ce document de quelques 45 pages a été mis en ligne le 6 février 2020 sur le site Internet dédié au prolongement du T8. Élaboré par Île-de-France Mobilités (IDFM), il constitue le bilan du maître d’ouvrage de la concertation sur le prolongement de la ligne 8 du tramway de « Saint-Denis - Porte de Paris » jusqu’à la gare de Rosa Parks (RER E, T3b). Nous estimons qu’il se révèle fidèle aux propos échangés sur ce projet.
Il s’appuie et fait suite au bilan de la Commission Nationale du Débat Public, paru en janvier dernier. Après avoir rappelé le contexte et les principales caractéristiques de ce projet – qui doit débuter aux alentours de 2030 – ce document revient sur les modalités de la concertation qui s’est déroulée du 9 septembre au 26 octobre 2019. Pour plus d’informations sur la concertation et sur ce premier bilan, nous vous invitons à vous référer à notre article.

Couverture de l’étude IDFM sur le prolongement.
Ce schéma résume les différents sites desservis par la futur ligne.

 Prolonger le T8 jusqu’aux portes de Paris

L’enjeu principal de ce prolongement vers le Sud de Saint-Denis – et donc vers Paris – est de permettre aux habitants des communes prochainement ou déjà desservies par le T8 de se rendre plus facilement à la capitale. Il s’agit ainsi notamment de délester la ligne B du RER et la ligne 13 du métro parisien, deux lignes arrivées à saturation depuis des années.
À ce titre, l’étude pointe que 89 % des personnes qui se sont exprimées lors de la concertation sont favorables au prolongement du T8. Par ailleurs, le rapport indique une réelle attente des populations quant à ce prolongement. À cela, IDFM répond, de manière logique, que les différentes phases du projet peuvent prendre beaucoup de temps, ce qui explique une inauguration du nouveau tronçon à l’horizon 2030. Néanmoins, on s’interroge toujours sur la pertinence de certains échanges de la concertation, qui semblaient davantage porter sur l’opportunité d’implanter des bacs à fleurs le long du futur tracé…

Avis sur l’opportunité du prolongement du T8
Graphique issu du document IDMF (p. 24)

 Le terminus de Rosa Parks au cœur des préoccupations des répondants

Selon le bilan publié par IDFM, les participants à la concertation de l’été dernier semblent avoir considéré que le tracé du prolongement du T8 comme étant « judicieux », « intéressant » ou « correct ». Certaines personnes ont toutefois pointé un « parcours trop complexe » : sur ce point, le tracé envisagé est à l’image des lignes franciliennes de tramway déjà en service, qui semblent davantage privilégier la requalification urbaine à la performance de la ligne, au détriment de la vitesse commerciale notamment.

Les points d’intérêt majeurs du prolongement.

On notera aussi que deux stations ont particulièrement été évoquées dans les avis déposés lors de cette concertation. Ainsi, la station « Préssensé » a été citée 57 fois – signe d’une très forte attente des populations concernées. Mais c’est surtout le terminus de Rosa Parks et le prolongement du T8 dans Paris, au-delà du boulevard des Maréchaux, qui a surtout été évoqué, recueillant pas moins de 133 citations.

Les quatre problématiques principales de la concertation.
Graphique issue du bilan IDFM p23.

Ce nombre est à relier avec l’implication de notre association aux côtés de Plus de Trains et de la FNAUT IDF, qui se sont mobilisées sur la question de l’implantation du terminus du T8. Ce faisant, le rapport note que « la station Rosa-Parks est le sujet qui a fait l’objet des avis les plus nombreux et argumentés. La mise en débat explicite du choix entre deux variantes d’insertion du terminus a largement alimenté les débats ».

 Inscrire le terminus du T8 dans une réelle perspective d’avenir

D’une manière fort satisfaisante, ce rapport fait mention et reprend bon nombre de remarques et de propositions élaborées par notre association avec ses partenaires.
Ainsi, le rapport d’IDFM note qu’au terminus de Rosa Parks, « la proximité avec les voies de la Petite Ceinture a donné à des associations et des participants à la réunion publique à Paris l’idée « d’un prolongement ultérieur vers l’est » via cette infrastructure, « pour relier la Seine-Saint-Denis aux lignes de métro 7 et 5 via des correspondances aux stations Corentin Cariou et Ourq » ». Autant d’éléments qui ont directement été repris des propositions élaborées en octobre dernier par notre association et ses partenaires – et que vous pouvez retrouver sur notre site Internet.

Tracé proposé par l’ASPCRF par la rue Gaston Tessier.

De la même manière, le document indique que « Cette projection ambitieuse pourrait « dans un horizon plus éloigné, conduire à la réouverture des anciennes stations de la Petite Ceinture Pont de Flandre et Belleville-Villette » (idée évoquée dans un avis en ligne qui cite une étude de l’Atelier Parisien d’Urbanisme de 2011) ». Ainsi, « un éventuel prolongement jusqu’à Porte de Vincennes est par ailleurs développé par la Fédération Nationale des Usagers de Transports (FNAUT IDF, NDLR) dans un courrier adressé à Île-de-France Mobilités ».
Signe des résultats de notre implication, le rapport note aussi que « Le prolongement sur la Petite Ceinture a été évoqué à de nombreuses reprises, notamment dans les avis déposés sur le site internet : des participants se demandent pourquoi le T8 n’est pas « dans l’axe de la Petite Ceinture, pour pouvoir reprendre son tracé vers la Porte de Vincennes » ».
En parallèle, ce bilan note que « certains participants s’étonnent ainsi que seulement deux options de terminus « en cul-de sac » soient proposées à la concertation, alors qu’un prolongement sur la Petite Ceinture, « déjà projeté il y a des années, semble représenter un futur évident pour un prolongement au sud » ».
Enfin, l’opportunité représentée par la Petite Ceinture pour offrir une arrière-gare – indispensable en cas de fort trafic – a elle aussi été évoquée par le présent document.

 La réponse d’IDFM quant aux variantes proposées

Sans revenir sur les deux variantes proposées par IDFM. – et que nous détaillons, ainsi que nos propositions, au sein de cet article – on notera certains éléments pour le moins évocateurs.
Ainsi, on apprend au détour du document que le projet actuel « ne prévoit pas dans l’immédiat un ascenseur ou des escalators ». Un point dont on ne peut que s’étonner au vu de l’importante différence de niveau entre le pont de la rue d’Aubervilliers et le parvis permettant l’accès au T3b et au RER E. Pour mémoire, l’une des deux variantes prévoit justement d’implanter le terminus du T8 dans l’axe de la rue d’Aubervilliers, créant une correspondance à la fois complexe, longue et malaisée entre le T8 et les autres moyens de transports à Rosa Parks.

Variante A étudiée par Île-de-France-Mobilités et jugée peu pertinente par notre association.
La correspondance accessible (sans escaliers), en rouge, mesure près de 500 mètres.

Par ailleurs, le rapport cite un avis émis par bureau d’études technique (mandaté par IDFM) : ce dernier indique « qu’il y a suffisamment de place pour la variante B [le long du boulevard des Maréchaux, NDLR] car le trottoir est assez large ». Ceci ne fournit malheureusement pas de réponse satisfaisante quant à l’impact du terminus du T8 sur cette zone très fréquentée par les résidents des immeubles avoisinants – ni sur la nécessité pour les voyageurs du T8 de traverser les voies du T3 pour rejoindre la gare du RER E. Cette configuration engendrerait des perturbations sur le T3b liées aux traversées piétonnes.

L’emplacement potentiel du futur terminus du T8 et les voies du T3b très proches
Crédits : Jean-Nicolas Lehec, TDR.

 (Ré)concilier le T8 avec la Petite Ceinture et le T3b

À cela, Île-de-France Mobilités apporte une réponse qui, selon nous, manque singulièrement d’ambition. D’une manière assez flagrante, elle indique une certaine réticence à admettre la Petite Ceinture comme une réponse évidente (sinon la seule – voir notre article) aux problèmes récurrents de saturation du T3a et du T3b. À ce titre, nous rappelons la nécessité de créer un véritable « effet réseau » en replaçant la PC dans un contexte global, à l’échelle de son linéaire de 23,5 km et de toutes les correspondances qu’elle offre avec le réseau existant (métro, RER, bus et tramway).

La station du T3 Rosa Parks
Crédits : Jean-Nicolas Lehec, TDR.

Ainsi donc, IDFM indique qu’elle « n’étudie pas à ce jour le prolongement du tram T8 sur la Petite ceinture car ce prolongement au-delà de Rosa-Parks ne figure pas dans les documents qui planifient les infrastructures de transports collectifs en Île-de-France : ni dans le Plan de déplacements urbains d’Île-de-France (PDUIF) 2010-2020, ni dans le Schéma directeur de la Région Île-de-France (SDRIF) à l’horizon 2030 ».
De manière fort regrettable, on notera qu’IDFM semble s’abriter derrière la « vieille » opposition entre le tram des Maréchaux (lignes T3a et T3b) et la Petite Ceinture, alors même que ces deux lignes pourraient (et doivent absolument) être considérées dans une logique de complémentarité : la PC pourrait ainsi venir délester le tram des Maréchaux et offrir une liaison rapide entre les portes de Paris, tandis que le tram continuerait d’offrir une desserte de proximité, facilement accessibles aux personnes en situation de handicap. Loin d’être concurrentes, ces deux lignes viendraient se compléter – à la manière dont les lignes de RER viennent compléter et soulager certaines lignes de métro.
De même, nous regrettons qu’IDFM et que Monsieur François Dagnaud, maire actuel du 19e arrondissement, évoquent la volonté de « conserver la vocation du parvis comme un lieu de vie », alors même que le T8 viendrait s’insérer de manière très judicieuse en lieu et place du terrain vague situé à l’emplacement même des voies… de la Petite Ceinture – coupées depuis l’inauguration de la gare de Rosa Parks.

Le parvis de Rosa PArks et les voies de la Petite Ceinture
Crédits : Jean-Nicolas Lehec, TDR.

 Nos propositions alternatives retiennent l’attention des acteurs des transports en Île-de-France

Nous saluons que le présent document fasse mention détaillée de la proposition de notre association d’utiliser le T3b afin de permettre aux rames du T8 de rejoindre facilement le parvis nord de la gare de Rosa Parks. Néanmoins, la réponse apportée par IDFM semble – elle aussi – assez décevante lorsque nous observons d’autres réseaux de tramways européens. On peut ainsi y lire que « les études montrent que, compte tenu de la fréquence actuelle des trams et de la longueur du tunnel, ce dernier ne permet le passage que de 50 trams par heure, alors que les objectifs d’exploitation imposent un passage de 75 trams par heure. Le tronçon commun ne permet donc pas de faire passer le nombre de rames suffisant pour respecter les fréquences fixées ».
Cependant, notre association est satisfaite de voir notre autre proposition présentée au sein de ce dossier. Pour mémoire, cette dernière envisage de prolonger le tracé du T8 le long de la rue d’Aubervilliers puis de la rue Gaston Tessier. Le but : offrir une correspondance immédiatement accessible entre le T8 et le RER E via le parvis sud de la gare de Rosa Parks. Néanmoins, on ne peut que constater la prudence d’IDFM, qui s’interroge sur la faisabilité technique du tracé proposé par notre association – alors que ce dernier s’avère beaucoup plus simple, lisible et accessible pour les voyageurs des différents modes de transport, il mérite que des études de faisabilité soient réalisées.

 Les prochaines étapes du projet

Dates communiquées avant la crise sanitaire.

Avec cette concertation publique s’est achevée la première phase du projet de prolongement du T8.
Aussi, la prochaine étape réside dans la réalisation d’études techniques, qui déboucheront sur l’enquête publique qui doit s’ouvrir à l’horizon 2021. IDFM s’engage à nous associer à chacune de ces étapes et des réunions de travail technique se dérouleront avec les bureaux d’études, ce que nous ne manquons pas de saluer.
Enfin, différentes études détaillées – suivies par la déclaration d’utilité publique – devront être menées avant le début réel des travaux du prolongement de la ligne.
Autant de temps forts qui rythmeront ce projet éminemment structurant pour les communes de Saint-Denis, d’Aubervilliers – ainsi que pour les territoires situés aux confluences des 18e et 19e arrondissements de Paris.

Les prochaines étapes de la concertation.
Graphique issue du bilan d’IDFM.

 En conclusion

Ce nouveau document nous laisse globalement un sentiment rassurant. Notre association – ainsi que ses partenaires de la FNAUT et de Plus de Trains – sont heureux de voir que leurs propositions ont été mentionnées et reprises à plusieurs reprises dans ce rapport. Sur ce point, ce rapport d’IDFM s’avère à la fois plus complet et plus satisfaisant que le document élaboré sous l’égide de Madame Ouassak, garante de la concertation publique.
On se souviendra qu’entre janvier et mai 2006, le CNDP avait déjà organisé un débat public consacré à l’extension du tramway à Paris, et créé une commission particulière, placée sous l’égide du préfet Hubert Blanc, son garant. La CNDP avait pu démontrer sa grande utilité, en permettant à de nombreux acteurs du dossier de s’exprimer pour améliorer le projet. Celui-ci n’avait été amendé qu’à la marge, mais la transparence en matière de communication avait été exemplaire, tant lors des réunions publiques que par le biais des cahiers d’acteurs produits par les intervenants et diffusés par le CNDP. La présente concertation montre une évolution, tant dans le fond que dans la forme, qui semble indiquer qu’elle ne dispose plus des moyens de 2006.
Nous apprécions également les avancées concédées par IDFM quant aux deux variantes présentées pour le terminus du T8 : comme notre association et ses partenaires l’ont rappelé à maintes reprises, aucune des variantes actuelles n’est satisfaisante. En l’état, toutes deux condamneraient le terminus du T8 à être à la fois malcommode et inabouti, le privant de réelles perspectives d’avenir et d’une souplesse d’accès au quotidien. Autant de contraintes qui pénaliseront les futurs voyageurs de la ligne.
Ainsi, la délibération du 5 février dernier au conseil d’administration d’Île-de-France Mobilités envisage d’étudier notre proposition de prolongement du T8 sur la rue Gaston Tessier. Elle reconnaît notre rôle de contributeur dans le débat public. La délibération confirme ainsi :
« la poursuite du projet de prolongement de 5,5km, en tenant compte des enseignements de la concertation, notamment sur la base de principes suivants :

  • poursuivre les études en privilégiant le principe d’une station supplémentaire tout en adaptant, le cas échéant, le positionnement des stations, afin d’améliorer la desserte du quartier du Franc Moisin par le T8, dès sa mise en service ;
  • approfondir les études relatives au terminus à la gare Rosa Parks en privilégiant le principe de la variante A, sous une forme optimisée. Les études rechercheront des optimisations de temps de parcours et d’accessibilité qui permettent d’améliorer les correspondances avec les autres lignes dans un souci de qualité urbaine ».
    Cette délibération se limite donc au strict périmètre du projet d’arrivée du T8 à Rosa Parks.

Notre association rappelle que ce terminus doit absolument offrir aux usagers des différents transports de la gare de Rosa Parks (RER E, T3b) des correspondances réellement accessibles et intuitives – deux éléments qui sont aux antipodes des deux variantes évoquées au cours de la concertation de l’été dernier.
Ainsi donc, notre association et ses partenaires participeront aux différentes réflexions et études menées par Île-de-France Mobilités avec les bureaux d’études qui seront choisis. Alors que les transports en commun de l’Île-de-France ne cessent de voir leur trafic s’accroître considérablement, il est impératif d’inscrire le prolongement du T8 dans une réelle perspective d’avenir, en replaçant la Petite Ceinture au cœur des mobilités à l’échelle de Paris et de sa Région.